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Rapport du Secrétaire général sur la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel (S/2017/869)

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I. Introduction

  1. Par sa résolution 2359 (2017) du 21 juin 2017, le Conseil de sécurité a accueilli avec satisfaction le déploiement de la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel sur l’ensemble du territoire des pays qui y participent, en vue de rétablir la paix et la sécurité dans la région du Sahel.1 Il a également souscrit à son concept stratégique des opérations, qui a été entériné par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine à sa 679 réunion tenue le 13 avril 2017.

  2. Le Conseil de sécurité m’a prié de lui faire rapport sur les activités de la Force conjointe, notamment sur son opérationnalisation, les problèmes rencontrés et d’autres mesures qui pourraient être envisagées, ainsi que les moyens d’atténuer les retombées négatives que pourraient avoir ses opérations militaires sur les civils, notamment les femmes et les enfants, dans les quatre mois suivant l’adoption de la résolution. À cette fin, du 6 au 14 septembre, j’ai déployé, dans les États membres du G5 Sahel, une équipe d’évaluation composée de fonctionnaires du Département des opérations de maintien de la paix, du Département de l’appui aux missions, du Département des affaires politiques, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS). Ses conclusions ont servi à établir le présent rapport, en étroite collaboration avec les États membres du G5 Sahel et de l’Union africaine.

II. Problèmes du Sahel

  1. La situation sécuritaire au Sahel s’est fortement détériorée après la crise survenue en Libye en 2011, la crise survenue au Mali en 2012 et l’insurrection menée par Jamaatou Ahl es-Sunna lid-Daawaati wal-Jihad, généralement connu sous le nom de Boko Haram, qui ont accentué les vulnérabilités qui existaient déjà dans la région. Dans son rapport de janvier 2012 sur les incidences de la crise libyenne sur la région du Sahel, la mission d’évaluation dépêchée par mon prédécesseur a montré comment les insuffisances en matière de gouvernance, la pauvreté et les effets dévastateurs des changements climatiques, y compris les sécheresses successives et l’insécurité alimentaire, avaient déjà provoqué de graves urgences d’ordre humanitaire. Les conflits locaux liés à l’accès aux ressources naturelles, exacerbés par la constante marginalisation de certaines parties de la population, menacent les moyens de subsistance et dégradent les conditions de vie. Si ces problèmes existaient pour la plupart avant le conflit libyen, les déplacements massifs de population, l’accroissement des migrations et l’afflux d’armes et de combattants armés depuis le nord de la Libye qu’ils ont entraînés ont aggravé encore une situation déjà précaire au Sahel. La crise qui s’est ensuivie au Mali en 2012 a eu pour conséquence une érosion complète de l’autorité de l’État dans les régions septentrionale et centrale du pays, devenues un refuge pour des groupes extrémistes violents liés à Al-Qaida au Maghreb islamique, à l’État islamique d’Iraq et du Levant et à des groupes en Libye, qui se sont par la suite étendus au Burkina Faso et au Niger. Dans un tel contexte, les gouvernements ne peuvent pas assurer la prestation de services sociaux, notamment l’accès à l’éducation et aux soins de santé, et garantir en même temps la sûreté et la sécurité de leur population.

  2. Les pays du Sahel ont demandé à diverses reprises la création d’une force militaire régionale pour répondre plus efficacement aux menaces, témoignant ainsi d’une volonté collective d’en assurer une forte appropriation régionale. En novembre 2015, les chefs d’État des pays du G5 Sahel ont décidé de créer une force conjointe pour lutter contre le terrorisme et les réseaux criminels transnationaux. Cette initiative a été suivie de consultations de haut niveau en 2016 et 2017, notamment avec l’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pendant le sommet de l’Union africaine tenu en janvier 2017, les chefs d’État des pays du G5 Sahel m’ont informé de leur décision de créer officiellement une force conjointe, qu’ils ont ensuite annoncée au cours du sixième sommet ordinaire tenu à Bamako le 6 février. À cette occasion, je me suis engagé à appuyer cette initiative louable et j’ai promis de relever de manière globale les nombreux défis auxquels la région du Sahel est confrontée. Pour réussir et s’inscrire dans la durée, l’initiative de la Force conjointe, aussi importante qu’elle est, devrait s’intégrer dans un ensemble complet de mesures englobant les aspects relatifs à la sécurité, à l’aide humanitaire et au développement. La Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel, que le Conseil de sécurité a adoptée en 2013, offre à l’Organisation des Nations Unies un cadre pour appuyer une telle entreprise. Afin d’accélérer sa mise en oeuvre, j’ai chargé en début d’année 2017 la Vice-Secrétaire générale de mobiliser l’ensemble du système pour appuyer la région par l’intermédiaire d’un groupe de travail du Comité exécutif sur le Sahel composé des chefs des bureaux, organismes, fonds et programmes des Nations Unies.

  3. Les attentats terroristes commis à Bamako, Niamey et Ouagadougou entre 2015 et 2017, ainsi que les attaques constantes menées contre les forces de défense et de sécurité dans la zone frontalière entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger et les agressions meurtrières dont sont fréquemment l’objet les Casques bleus de l’ONU viennent appeler de nouveau l’attention sur une situation qui se détériore et qui, si des solutions ne sont pas trouvées rapidement, présente des risques sérieux de contagion pour la paix et la sécurité internationales dans la région. Ces actes ont contribué à renforcer encore la détermination politique et le sentiment d’urgence partagé à rendre la Force conjointe opérationnelle aussi rapidement que possible et à en lancer les premières opérations frontalières conjointes dans la région du Liptako-Gourma avant fin 2017.

Gouvernance

  1. La faiblesse de la gouvernance politique, financière et sécuritaire reste au coeur de l’instabilité dans le Sahel. La présence limitée d’institutions nationales dans les régions reculées et frontalières a marginalisé davantage certaines parties de la population et alimenté activement la flambée d’extrémisme violent dans la région, contribuant ainsi à l’apparition de zones contestées et non gouvernées. Exclusion et dénuement socioéconomiques, pauvreté et sous-développement créent des frustrations qu’exploitent les groupes extrémistes violents. Ainsi, ces groupes se sont emparés de zones où l’État est largement absent, le nord et le centre du Mali par exemple, mais aussi de plus en plus le nord du Burkina Faso, où ils attaquent les organismes publics civils, militaires ou de sécurité et leurs représentants. La présence de ces groupes a empêché davantage l’accès aux services de base et conduit à la fermeture d’écoles et de centres de soins de santé, érodant ainsi encore plus l’autorité de l’État. Dans certains cas, les groupes extrémistes ont instauré une gouvernance alternative et exploité les tensions existantes entre éleveurs et agriculteurs, ainsi qu’entre groupes ethniques, pour perpétuer le risque de violence armée. Dans d’autres cas, ils bénéficient du soutien de citoyens marginalisées, parce qu’ils ont établi des administrations parallèles, notamment des régimes d’imposition en échange d’une protection et de la prestation de services de base, y compris de services de justice.

Protection des frontières et migration

  1. Les cinq dernières années ont été marquées par une augmentation spectaculaire des déplacements massifs et des migrations irrégulières à travers le Sahel. Au moment de l’établissement du présent rapport, environ 4,9 millions de personnes avaient été déplacées de force, ce qui témoigne des ravages causés par les conflits et la violence dans la région. La plupart des déplacés ont perdu leurs moyens de subsistance et sont souvent accueillis dans des communautés déjà extrêmement vulnérables. Les migrants passent par tous les pays du G5 Sahel, même si l’immense majorité traverse le Niger et, dans une moindre mesure, le Mali. La facilitation de la migration irrégulière est devenue une source de revenus majeure pour la population de certaines régions du nord du Mali et du nord du Niger et elle a entraîné une augmentation de l’activité criminelle liée au trafic et à la traite d’êtres humains. Cette situation met aussi en évidence la nécessité d’une vision et d’une approche communes pour améliorer la sécurité aux frontières et contrôler plus efficacement la circulation des personnes et des biens en Afrique de l’Ouest, au-delà des États membres du G5 Sahel.

  2. Les membres de l’équipe d’évaluation ont pu observer que le niveau et la qualité de la protection des frontières variaient grandement dans la région. Si la Mauritanie et le Tchad ont beaucoup investi dans la sécurité aux frontières, le Mali et le Niger appelaient la communauté internationale à les appuyer dès 2011 en raison des moyens limités dont ils disposent pour mettre en place un contrôle efficace aux frontières et juguler les flux d’armes et de combattants venant de Libye. D’après l’équipe, peu de progrès a été accompli dans ce domaine et, de fait, l’État est moins présent dans les zones frontalières du nord du Burkina Faso et du nord et du centre du Mali.

Sécurité

  1. Après la crise libyenne, d’importantes quantités d’armes et de munitions provenant de l’arsenal libyen ont été introduites clandestinement dans la région du Sahel. En outre, la région sahélo-saharienne était depuis longtemps une zone où prospéraient les trafics, le Mali, la Mauritanie et le Niger se trouvant au coeur des itinéraires commerciaux. L’intensification récente du trafic de drogues, conjuguée à une aggravation du trafic et de la traite des personnes, a ouvert de nouvelles sources de revenus aux groupes armés terroristes, dans certains cas avec la complicité d’agents de l’État, et déstabilisé encore plus la région. Ainsi, et par suite d’une négligence généralisée, d’un manque de matériel et de formation, et de l’absence de dispositifs de responsabilisation et de contrôle appropriés, les forces de sécurité sont bien peu disposées ou outillées pour faire face à ces menaces.

  2. En conséquence, les pays du G5 ont progressivement augmenté leurs dépenses relatives à la sécurité, allouant en l’occurrence une part de plus en plus importante de leurs budgets nationaux aux dépenses de sécurité et de défense. Ceci est particulièrement vrai pour les pays confrontés à de multiples menaces en matière de sécurité. Le Niger et le Tchad, par exemple, doivent faire face à des crises simultanément à leur frontière, d’une part, avec la Libye, d’autre part, dans le sud, où sévit l’insurrection de Boko Haram. Le Tchad a dû aussi lutter contre la détérioration des conditions de sécurité le long de ses frontières avec le Soudan et la République centrafricaine, et le Niger le long de ses frontières avec le Mali. La Mauritanie a réalisé d’énormes investissements dans la sécurité nationale après avoir subi plusieurs attentats terroristes au début des années 2000. Des interlocuteurs en Mauritanie et au Tchad ont fait savoir qu’ils avaient dû donner la priorité aux dépenses de défense au détriment des initiatives de développement. Des responsables nigériens ont aussi fait remarquer que les menaces étaient des menaces qui évoluaient rapidement et qui, de ce fait, nécessitaient des réponses dynamiques.

Développement

  1. La situation socioéconomique au Sahel, région dont l’économie est peu diversifiée et fortement tributaire de l’agriculture, de l’élevage et de l’exploitation des ressources minérales, est caractérisée par un accroissement rapide de la population des jeunes, l’aggravation des inégalités, notamment dans la prestation de services sociaux de base, et une répartition inégale des ressources. La mauvaise gouvernance financière et le recours croissant aux importations, qui a eu pour conséquence une forte exposition aux fluctuations des cours des matières premières, ont eu des incidences directes sur les recettes nationales et accentué la dépendance à l’aide extérieure. Ces tendances ont encore été exacerbées par la dégradation de l’environnement et les effets incontrôlés des changements climatiques, qui ont aussi eu des retombées négatives sur la production agricole. Et le développement rural.

Impact humanitaire

  1. Aujourd’hui, quelque 24 millions de personnes ont besoin d’une aide nécessaire pour la survie dans la région du Sahel. Les acteurs humanitaires ont dû intervenir de plus en plus pour assurer des services sociaux de base aux communautés vulnérables et marginalisées, comblant ainsi le vide créé par l’érosion de l’autorité de l’état. Ainsi, l’étendue de la région sahélo-saharienne, qui affiche quelques-uns des taux d’accroissement démographique les plus élevés et est en proie à une détérioration de la situation sécuritaire, représente un défi considérable pour l’accès de l’aide humanitaire aux populations touchées. L’ampleur et la multiplicité des problèmes auxquels il faut remédier dépassent largement les moyens humanitaires actuellement disponibles. La capacité des acteurs humanitaires de répondre aux besoins est également compromise par le manque de financements disponibles. Au moment de l’établissement du présent rapport, sur un montant total de 2,7 milliards de dollars nécessaires pour l’aide humanitaire en 2017 dans la région, seuls 49% avaient été reçus.

  2. La région du Sahel se trouve prise aujourd’hui dans un cycle vicieux où mauvaise gouvernance politique et sécuritaire, pauvreté chronique et effets des changements climatiques ont contribué à favoriser la propagation de l’insécurité. La montée du terrorisme et du non-droit a fragilisé davantage l’autorité de l’État, empêchant ainsi les gouvernements de prendre en charge et d’assurer la protection de leurs citoyens, ce qui, à son tour, a contribué à nourrir la radicalisation et à aggraver l’instabilité.

  3. Afin d’aider la région à s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité au-delà d’une réponse militaire, j’ai réorienté l’action du système des Nations Unies pour lui permettre de rationnaliser et de renforcer son appui par l’intermédiaire de la Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel, qui a été élaborée en 2013. Au moment de l’établissement du présent rapport, le groupe de travail du Comité exécutif sur le Sahel était convenu d’une répartition claire des tâches entre les différentes entités des Nations Unies présentes dans la région, et il avait commencé à procéder à un état des lieux des programmes actuellement mis en oeuvre par l’Organisation et d’autres acteurs afin d’en recenser les insuffisances et élaborait une stratégie d’investissement pour mobiliser des ressources.

  4. En dehors de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations régionales et internationales, comme l’Union européenne (2012), la Banque mondiale (2013), la CEDEAO (2013), l’Union africaine (2014) et le G5 Sahel (2014) ont également mis en place des dispositifs stratégiques régionaux complets.