« Passage du cyclone », de Jennifer Lesieur, Stock, 210 p., 19,90 €, numérique 15 €.
Tahiti est une des cinq îles du Vent. De mémoire de Polynésien, on les a toujours appelées ainsi. Parce que, là-bas, il n’a jamais cessé de souffler. Il y a le maoae, cet alizé chaud de l’été qui apporte doucement la pluie, le mara’amu en hiver, venu du pôle Sud, frais, puissant, qui fait la houle sur la mer, et puis des vents tièdes, des doux, des orageux aussi, agités en bourrasques. Et d’autres, violents, tourbillonnaires, diluviens, heurtant le rivage avec fracas. Arrachant les arbres, balayant les constructions fragiles.
Les premières pages du roman de Jennifer Lesieur s’ouvrent sur le moment étrange de l’attente de l’arrivée d’une de ces tempêtes tropicales. Elle est imminente. Mais, pour la jeune narratrice, calfeutrée dans la maison avec ses parents, l’heure est davantage à l’excitation qu’à l’inquiétude. « Moi, il ne me faisait pas peur ce cyclone. » Elle se sent à l’abri. Des panneaux de bois protègent les baies vitrées, de l’adhésif brun barre les fenêtres. Tout est rangé, accroché, les appareils électriques débranchés. Le vent peut bien venir. Dans les interstices du quadrillage des carreaux, elle guette. « J’ai appuyé mon nez contre la vitre renforcée qui s’est couverte de buée, mais même sans ça, je n’y voyais presque rien ; le monde, mon monde, était lui-même devenu buée. »
Comme un pressentiment confus
Son monde, c’est l’île, c’est Tahiti. Sa patrie de cœur, son fenua, sa terre. Elle n’est pourtant pas d’ici. Elle n’est arrivée que depuis trois ans et a compris depuis peu qu’il ne restait guère que deux années avant que son père, pilote de ligne, ne soit obligé de regagner la métropole. A quoi bon y penser ? Sauvageonne aux pieds nus, elle est parvenue à faire oublier (et à oublier aussi) sa blondeur et sa peau trop blanche qui rougit au soleil tant elle a vite appris le parler, les usages, le simple « savoir-être ». Les gens, les paysages, les bruits devenus si familiers : les roulades des géopélies zébrées se répondant dans les arbres ou le grondement sourd des vagues frappant la barrière de corail. Avec ses copines, du CM2 au collège, les débordantes Nathalie et Maryline (des natives aux « racines complexes ») et la discrète Tumata, seule « vraie » Tahitienne, elle traverse ses dernières années d’enfance. Et l’avenir s’insinue comme un pressentiment confus. « Je ne savais pas si j’étais heureuse comme il fallait (…), une gêne me poursuivait, comme le sel qui continuait d’irriter la peau après l’avoir rincée. »
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